Pierre-Gaël Chantereau,Président-Directeur Généralde Nokia France
Alexandre Ibanez, Président du GIE VR Connection
Comment percevez-vous l’impact des défis géopolitiques actuels sur l’industrie des technologies de l’information et des communications ?
Avec l’avènement du Métavers, de l’Intelligence Artificielle et la croissance des données privées sensibles, comment envisagez-vous la gestion et la sécurisation de ces données dans un futur proche ?
Les Américains ont compris plus tôt le potentiel. Ils ont été capables il y a 20 ans de faire de l’innovation à grande échelle sur les webscalers. La réponse au déploiement de leur modèle au niveau des réseaux télécoms a été ensuite la Neutralité du Net.
Ce principe a libéré les plateformes les plus consommatrices de bande passante telles que Netflix. Bien que ses vidéos occupent à heure de grande écoute jusqu’à 2/3 du flux, l’entreprise ne paie pas ce modèle en termes d’infrastructures.
Certes, ce n’était pas forcément le choix de l’Europe de dire que la donnée est gratuite, mais le vieux continent n’était pas en position d’imposer un modèle.
Désormais et pour définir la trajectoire future, il est impératif de posséder un modèle d’innovation très fort.
Cela implique de prendre des risques et de mobiliser des capitaux dès les premières étapes du processus. Bien sûr, la réglementation joue un rôle que nous maîtrisons, mais sans une véritable culture de l’innovation, nous serons toujours contraints de réglementer les avancées initiées par d’autres.
Plutôt que d’aménager et d’amortir les impacts, il est nécessaire d’adopter et développer dans le sens de la French Tech des innovations de rupture à très grand échelle pour construire de nouveaux business model.
Cela passera aussi par un environnement d’innovation très fort porté par des grosses entreprises telle que la nôtre qui investit chaque année 4 milliards d’euros dans la R&D, représentant un des plus gros budgets R&D dans la chaîne de valeur digitale du numérique dans le monde.
Mais cela doit également impliquer des entreprises plus petites et moyennes qui vont tenter de se positionner sur l’intelligence artificielle et le métavers industriel.
Pour moi, la souveraineté repose sans aucun doute sur la capacité à prendre des risques et à innover.
Alexandre Ibanez
Je partage les propos de Pierre Gaël.
Nous nous sommes positionnés comme des suiveurs, comme d’autres, en ignorant les risques liés à l’emprise des Américains sur les infrastructures. Aujourd’hui, nous réalisons à quel point cette stratégie était risquée. Le risque devenant de plus en plus important, nous devons désormais le prendre en compte. C’est la première chose.
Ensuite, je pense que les Américains ont été des précurseurs dans l’innovation de la gestion et de la commercialisation des données, ayant perçu le potentiel économique et stratégique bien avant nous. Cette approche découle d’une vision initiale d’Internet, conçu dans l’optique d’en centraliser l’accès et motivé par une volonté politique claire.
Notre vision européenne a toujours été plutôt axée sur la législation et la protection de l’utilisateur et de ses données avant de permettre l’innovation. Selon moi, il aurait été nécessaire de prendre plus tôt le contrôle des infrastructures et de la partie logicielle pour une protection adéquate.
En raison de l’avance considérable des Américains et des Chinois dans ces domaines et dans l’optique de changer de cap, nous devons aujourd’hui légiférer pour rétablir une concurrence plus équitable, tout en prenant des risques, en particulier dans les domaines des matériaux et des semi-conducteurs, où des solutions alternatives devront être trouvées à long terme.
Ces solutions n’existent pas encore, donc des investissements massifs seront nécessaires pour combler notre retard en matière de recherche et développement.